Quelques propos sur les sciences

 

Mini sommaire:
1. Définitions : science, connaissances exactes, phénomènes, raison
2. La science ou les sciences?
3. La science sans le vrai?

 

1. Définitions

    La science est l'ensemble des connaissances exactes sur des phénomènes ou des successions de phénomènes qui s'appuie sur l'activité logique, c'est-à-dire sur la raison.
    Par connaissances exactes, il faut comprendre que la science ne vise pas l'opinion ou la croyance qui suscitent un accord de fait entre les consciences, passionnel dans la plupart des cas et qui n'est pas systématique, mais un accord de droit, quasiment obligatoire entre les sujets qui reconnaissent le pouvoir de la raison,ce qui n'exclue pas l'exercice rationnel de la critique de la connaissance exacte qui peut la révoquer par une connaissance plus exacte encore. La connaissance exacte possède donc une valeur rationnelle, elle consiste en des jugements synthétiques (qui partent d'éléments simples connus à la base, qui ajoutent à des concepts clairs et distincts des propriétés qui n'étaient pas contenus dans la définition du concept), universels (valables en tout lieu et en toute époque où les conditions sont respectées) et nécessaires (sont des lois de causalité qui établissent les conséquences des phénomènes).
    Les phénomènes sont les objets tels qu'ils nous apparaissent dans le champ de l'expérience. Cela ne contredit pas l'objectivité de la science, au contraire. La science ne prend pas en compte nos façons individuelles de percevoir tel ou tel phénomène mais seulement la façon universelle et nécessaire avec laquelle un objet donné se manifeste à notre entendement, et dans ce sens elle est objective, par opposition à une généralisation ou une discipline de déduction des perceptions subjectives : une phénomènologie.
    La raison est une faculté de l'esprit humain. Elle peut être définie de plusieurs façons : "instrument universel qui sert en toutes sortes de rencontre" (Descartes), faculté de connaître et de générer des concepts elle-même (raison théorique selon Kant, pure quand quand les concepts sont a priori)... Ce qui ressort de toutes les définitions est l'aspect universel de la raison, égale en tous hommes ayant une conscience saine. Elle est aussi la faculté de critique elle-même.
    Par extension, la science est aussi la recherche de ces connaissances, la démarche de recherche de la raison théorique elle-même. La mission de la science et de prendre en compte correctement (prédire les conséquences, expliquer, etc.) de plus en plus de phénomènes, ce qui se traduit par le progrès scientifique (notez bien qu'il est pléonasmique de dire que la recherche progresse ou avance : elle est elle-même le progrès!) : nouvelles lois, généralisations de lois préexistantes, meilleures explications, voire révolutions scientifiques, etc.

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2. La science ou les sciences?

    Il est tentant de croire que la science est une agglomération de sciences spécifiques à des objets de recherche propres. Il est difficile d'admettre à première vue que les mathématiques et la biologie sont unies dans la science. Certes, l'objet d'une science lui est constitutif, lui donne la plupart du temps son nom. Voyons si LA science est une réalité ou un simple idéal...

 

Qu'est ce qu'une science?

    Une science est une discipline distincte de recherche de la connaissance dans un domaine, un ensemble d'objets précis. Une science comporte:
- Un objet d'étude, par exemple le vivant, les lois de la mécanique, les cristaux...
- Une méthode
- Parfois des postulats
- Parfois des conventions (le système métrique est une convention commune à toutes les sciences)
Une science peut se diviser en autres sciences de domaine de recherche plus restreint. exemple : chimie -> cristallographie...

 

Première division : Sciences dites "dures" ou "exactes", Sciences de l'Homme

    Les sciences "exactes" (sur ce terme, cf. supra) sont toutes les sciences qui se limitent dans leur recherche à l'observation stricto sensu (expérimentation) soit à la démonstration, c'est-à-dire à une attitude démonstratrice (mathématiques) ou expérimentale (sciences de la Nature, cf. infra), c'est-à-dire explicative. A contrario, les sciences de l'Homme, comme leur nom l'indiquent, étudient des états de conscience, des réalités qui ne peuvent être saisies sans que le scientifique ou le savant ne se mette dans une perspective d'être humain, c'est-à-dire en rompant partiellement avec l'universalité dynamique de la raison : il adopte une démarche compréhensive. Les connaissances des sciences humaines laissent une place aux jugements analytiques (ceux qui partent d'un concept abstrait et le clarifient, sans y attacher de propriétés supplémentaires, cf. supra sur les jugements synthétiques) contrairement aux sciences dures qui le sont par exigence constante de concepts toujours clairs et distincts, et n'admettent que des jugements synthétiques, qu'ils soient formés par déduction ou par induction logiques.
    Cependant, les sciences humaines ont une valeur analogue à celle des sciences "dures". Si la compréhension joue un grand rôle, les recherches en sciences humaines restent rigoureuses et procèdent avec méthode.
    Les sciences sociales comme la sociologie peuvent être classées parmi les sciences de la Nature car elles sont d'une part mathématisées et d'autre part elles ne prennent pas en compte des données des sciences humaines comme la personnalité, etc...

 

Seconde division, dans les sciences dures : mathématiques contre sciences de la Nature?

    La division entre mathématiques et sciences de la Nature est caractérisée, et ce à plusieurs niveaux:
- aspect historique et philosophique : si les sciences de la Nature sont apparues au XVIIIème, les mathématiques étaient déjà présentes et très avancés dans l'Antiquité (cf. les Eléments d'Euclide, notamment). D'un point de vue philosophique, les mathématiques étaient la science privilégiée des rationalistes (Descartes...) du XVIIème, les sciences de la Nature, des empiristes : ce n'est pas un hasard si Newton est né dans la patrie des empiristes, l'Angleterre...
- la démarche : les mathématiques utilisent, quasi exclusivement, la démonstration, déductive, sous toutes ses formes (déduction classique, raisonnement par l'absurde, par récurrence...), les sciences de la Nature utilisent la méthode expérimentale, inductive et à portée réfutative (toute proposition inférée des phénomènes est de plus en plus généralisée jusqu'à ce qu'un phénomène la mette en échec : c'est la réfutation décrite par Popper) :  observation (expérience sensible), hypothèse (rationnelle), expérimentation (usage de la raison + expérience sensible).
- le domaine de recherche : les mathématiques étudient des objets intellectuels qui ne sont pas puisés directement de l'expérience (le trait par exemple a inspiré la longueur sans largeur de la géométrie, le segment, qui n'existe pas dans l'empirie) et qui sont conçus par une faculté de l'entendement, l'abstraction, associée à l'imagination et dans ce sens ce sont des phénomènes intérieurs. Dans ce sens, on pourrait les traiter de Science dans l'âme, avec l'âme entendue comme totalité des phénomènes intérieurs. A l'opposé, les sciences de la Nature, elles, ne prennent en compte que les phénomènes extérieurs à un observateur bien défini (prenons en exemple les référentiels galilléens).

    Cependant, il faut préciser, et c'est important, que la mathématisation du monde a accompagné l'avènement des sciences de la Nature. Les Principes Mathématiques de philosophie naturelle [=sciences de la Nature] de Newton en sont une parfaite illustration. Les mathématiques n'y expliquent pas le monde, mais le décrivent nécessairement. La physique actuelle tranche radicalement, complètement avec celle d'Aristote dans le sens où elle est quantitative et non plus qualitative : elle est mathématisée, elle perçoit le monde comme un ensemble simultané de variables, de coordonnées, de paramètres... Il en va de même pour les autres sciences (chimie, etc.) même si la présence des mathématiques décroît quand l'objet d'étude se complexifie (la biologie fait moins appel aux mathématiques que la physique). Ainsi nous pouvons résumer par une image :
Les mathématiques sont les sciences dans l'âme, et l'âme des sciences exactes.

 

Une série des sciences exactes

    Auguste Comte proposait la série : Mathématiques, Astronomie, Physique, Chimie, Biologie, Sociologie.
Pour lui, chaque science ajoute une aptitude au scientifique qui lui sert dans les sciences qui suivent dans la série (mathématiques = +raisonnement, astronomie = +observation, physique = +ruse expérimentale, chimie = +art de classer, biologie = +méthode comparative, sociologie = +vue d'ensemble) et chacune s'appuie sur des postulats de base qui sont des connaissances acquises par la science qui précède. Il s'agit donc d'une progression dialectique dans la réalisation de la Science, de l'état positif.
    On peut en retenir la complémentarité des sciences qui appelle à une inter-disciplinarité des scientifiques : astrophysique, biochimie, sociobiologie...

 

Conclusion

    Les sciences sont les variations d'une recherche rationnelle unifiée, la Science. Ces variations se font selon les objets d'étude de chaque science et sont raisonnées, chaque science adoptant une méthode et une attitude savamment adaptées à son objet d'étude. De plus, les sciences collaborent entre elles quand l'isolement de l'expert ne convient pas à une recherche dans une Nature sans distinctions d'objets allant de soi : "La Nature ne nous oblige pas à considérer la réalité suivant les distinctions de disciplines établies par les chercheurs" (une association de promotion de la culture scientifique, slogan d'une exposition qu'elle a organisée). La diversité des disciplines scientifiques s'accompagne d'une exigence croissante d'interdisciplinarité, voire de transdisciplinarité (collaboration avec d'autres domaines d'activité humaine).

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3.La science sans le vrai

    Dans le monde actuel, on retrouve souvent la "pensée" erronée qui veut égaliser la science à la vérité. Ainsi, ce qui est scientifique est vrai et ce qui est vrai est scientifique, selon cette opinion calamiteuse. Ainsi, ne pouvant prouver Dieu dans un laboratoire, il n'existe pas, et toute distinction entre philosophie et science est abolie. Quant à la métaphysique, elle est dévaluée car le "méta" est de trop : pour cette opinion, la métaphysique est la physique et par conséquent les métaphysiciens non-physiciens ne sont que des charlatans.
    Fort heureusement, cette égalisation science/vérité est peu courante et ne fait que continuer le scientisme de la fin du XIXème (malheureusement elle a été remplacée par une peur irraisonnée du progrès aussi bien théorique que technique. De Charybde en Sylla...). Elle est erronée comme bien des opinions car elle soulève des objections inévitables et sans issue.

    Premièrement, le concept de vérité n'est pas scientifique. C'est un concept problématique, ce qui est incompatible avec l'exigence de clarté de sciences. Il n'est pas formulable dans le langage scientifique lui-même comme la logique arithmétique l'a été dans le langage arithmétique lui-même par Gödel. D'ailleurs, a y voir de plus près, le mot "vrai" n'est employé qu'en mathématiques et en logique, où il engendre par ailleurs des paradoxes et des situations inconfortables intellectuellement...
    Dans les sciences en général, quand une proposition A (un théorème, une loi physique, etc.) est affirmée par un scientifique, il écrit : "A" et non "A est vraie"! Il est "évident" que toute proposition inférée par déduction est vraie, et par induction réfutative, vraie dans son champ d'application (échelle de temps et d'espace, etc.), pourvu que les raisonnements soient valides. Cette évidence nous vient du postulat humain qui rend possible toute recherche : nous sommes doués de raison, et la raison bien dirigée conduit des prémisses aux conclusions vraies, et ce postulat est l'idéal de science lui-même. La "vérité du passage", du raisonnement, est donc assurée par la raison sans que la science ne l'affirme à chaque fois : cette vérité du passage, qui est la conséquence de la valeur intrinsèque de la raison humaine, est postulée (de façon idéale) avant la science.
    La vérité du passage ou pouvoir de la raison n'assure pas la vérité intrinsèque et absolue des conclusions mais uniquement leur valeur scientifique, leur validité théorique : en mathématiques, cette valeur est l'aptitude de "A" à devenir une hypothèse, et en sciences de la Nature, elle est de plus appelée la "scientificité" de "A" (au sens de Popper). En mathématiques, les premières hypothèses ne sont pas démontrées (axiomes), la déduction est donc conditionnée. En sciences de la Nature, tous les phénomènes ne sont pas clairement perçus, l'induction est donc également conditionnée.
    Les énoncés scientifiques, placés dans la science elle-même, (ne) sont donc (que) théoriquement valides, ce qui est justement leur scientificité, mais pas absolument vrais. Les qualifier de vrais est un manque de prudence.

On peut retenir pour la suite et pour le site entier, l'égalité schématique suivante : validité théorique = valeur scientifique = scientificité

    Deuxièmement, le concept de vérité est applicable aux énoncés scientifiques (ayant une valeur scientifique, cf. supra), mais à ce moment là, ces énoncés sont extraits de la science. La scientificité seule suffit à une proposition pour être réemployée comme prémisse dans la recherche théorique pure. Qualifier une proposition scientifique de "vraie" la fait passer de pure théorie à pratique, la rendre "véridique".
    En effet, en sciences, les propositions "fausses" ne sont jamais recherchées, et quand elles sont inspectées, sont rejetées comme non scientifiques, car incohérentes ou inadaptées aux phénomènes, c'est-à-dire intruses dans le domaine de la théorie, théoriquement invalides et donc inconsistantes, inexistantes pourrait-on dire. Dans la pratique, propositions vraies et fausses cohabitent sans distinctions, seule la réussite technique permet de sélectionner progressivement ces propositions, de façon partiellement indépendante de leur vérité théorique effective. En ce sens, le critère pragmatique de la vérité est juste mais avec une correction de taille : les idées les plus vraies dans la théorie sont probablement les plus utiles dans la pratique.
    Ainsi, en qualifiant une proposition scientifique ("valide dans la théorie") de vraie, je ne lui donne rien de plus dans la théorie (elle est déjà valide) mais, dans la pratique, je la met en condition d'être employée comme un outil technique ou pour la réalisation d'un outil technique.
    Il faut observer que la recherche fondamentale est la recherche théorique pure c'est-à-dire allant au gré de la curiosité et des connaissances déjà acquises et que la recherche appliquée est toujours théorique, toujours purement scientifique en ce sens, mais orientée vers des objets d'études qui intéressent la technique, ou bien simplement une remise en forme des énoncés déjà trouvés pour une application technique plus simple (en mathématiques notamment). Cette remarque est importante dans le sens où la confusion science/vérité est suivie de la confusion recherche appliquée/mise au point technique.

    Troisièmement, égaliser la science à la vérité est incompatible soit avec l'idée de progrès de la connaissance soit avec une pleine reconnaissance de notre histoire. La vérité est telle qu'elle est avant la recherche, l'idée vraie l'est avant d'être connue, ou il y a contradiction dans l'esprit qui juge du vrai. La science est un tout unifié qui progresse de façon indéniablement historique. Une vérité est immuable, ou n'est pas, ou bien elle est fluctuante et son changement est l'objet d'une vérité immuable, ou... ainsi de suite, il y a bien une vérité qui est immuable, espérons-le! Une science progresse (de façon contingente et aléatoire) ou bien n'est pas, car une science complète est impossible (pensons à tous les axiomes possibles en mathématiques! à toutes les zones inexplorées de notre Univers!).
    Egaliser la science à la vérité c'est soit réduire la vérité à une oeuvre humaine découverte petit à petit et ainsi la dévaloriser, soit transformer la science en un monolithe des seules vérités connues, qui se dresse lentement à cause de nos ignorances passées, en dévaluant constamment notre histoire et en rejetant notre passé au lieu de l'assumer raisonnablement (on voit ici pourquoi l'opinion dénoncée rejette le Moyen-Âge absolument).

    En conclusion, la science n'est pas la vérité, que ce soit au sens descriptif (l'idéal de science ou postulat du pouvoir de la raison lui-même n'est pas le concept de vérité) ou au sens dynamique (les proposition scientifiques qui apparaissent ne sont pas absolument vraies). Tout au plus, la science mènera à apprécier ce qu'est la vérité en ayant entraîné un usage pur de la raison, désintéressé. En ce sens, la science est réellement propédeutique, sans pour autant avoir à suivre l'idéalisme platonicien jusqu'au bout. Et c'est sur ces mots que je finis ces propos sur les sciences, dans une chaleur étouffante.

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