Sujet du bac S 2003 : La vérité dépend-elle de nous?
N.B.: Il s'agit d'une transcription de mon brouillon. Je n'ai pas exactement rendu cette dissertation.
(Introduction)
Poser la question du rapport entre
la vérité et l'Homme (aussi bien individu que genre), c'est mettre en question
la légitimité et la pertinence des recherches humaines de la vérité, aussi bien
en sciences qu'en philosophie, notamment.
La vérité peut être entendue de deux façons, inséparables et
complémentaires : la vérité-cohérence ou accord de l'esprit avec lui-même
(vérité formelle) et la vérité-correspondance, "l'accord de l'intellect avec
les choses" (St-Thomas d'Aquin) ou vérité matérielle. Dans ces deux
conceptions, la vérité est une chose de l'esprit, conçue par l'Homme en
lui-même. Est-ce à dire que la vérité dépend de nous, que notre à rapport à elle
lui est essentielle? De prime abord, on peut considérer que tel est le cas.
(1. Remarques)
"L'Homme est la mesure de toute
chose" : les sophistes énonçaient ainsi leur double thèse, qu'il n'y a ni
être en soi ni vrai en soi. Cela se montrait comme une évidence pour ces hommes
qui pouvaient persuader de la vérité de leur opinion à propos de tout. Ainsi,
seule la validité formelle comptait, l'être en soi n'existant pas pour eux,
l'accord de l'esprit avec les choses n'était pas assez consistant pour
fonder une quelconque vérité. Cette position nous semblerait certes disqualifiée
à notre époque mais elle met en lumière notre nature incomplète : une vérité
objective, universelle, indépendante de nous serait problématique, étant donné
que l'essence des choses nous échappe. Ainsi nous est posé le problème suivant :
comment connaître la vérité sur le triangle et ses propriétés si l'essence,
l'être en soi du triangle ne nous est pas accessible? Cette vérité des
propriétés du triangle dépendrait à première vue de la façon dont nous concevons
le triangle, de notre façon de le penser.
Il se pose également le problème du critère du vrai. Il
s'agit de trouver le critère donnant le plus de certitude quant à la nature
universelle du jugement que nous portons et posons comme vrai. Le critère
pragmatique de l'efficacité pose l'idée vraie comme l'idée qui réussit. "La
vérité est une condition pour atteindre d'autres satisfactions nécessaires"
(James). Par ce critère, la vérité nous apparaît comme comme un bien, nous
l'apprécions par son impact social, collectif. Le critère de l'universalité pose
l'idée vraie comme l'idée qui amène nécessairement l'accord des consciences sur
sa vérité (accord en droit, ce qui le différencie de l'unanimité sur des
opinions, accord de fait). La vérité et sa recherche appellent ici un jugement
collectif raisonnable, "nous" est juge et parti du vrai. Enfin, le critère
cartésien de l'évidence confond la vérité et l'indubitabilité, c'est-à-dire le
caractère invincible de la certitude du sujet qui n'a plus de raison valable de
douter de sa connaissance. Ce que Spinoza résume par : "Qui a une idée vraie
sait en même temps qu'il a une idée vraie et ne peut douter de la vérité de sa
connaissance". Ainsi entendue, la vérité est index sui, elle est sa
propre norme par laquelle le sujet certain juge du vrai. Elle dépend par là de
nous et de notre connaissance, mais surtout de notre application d'une
hypothétique méthode économique, sûre, féconde et universelle quant à son objet
telle que l'a voulue Descartes.
Dans le domaine scientifique, notre rapport à la vérité est
problématique quant aux conditions dans lesquelles nous la recherchons. En
mathématiques, l'aspect logique et rigoureux de la démonstration garantit la
vérité du passage du connu au démontré, mais les fondements restent
problématiques. Les mathématiques se sont récemment axiomatisées : les
propositions fondamentales de la géométrie classique par exemple, les axiomes
d'Euclide, ont pu être échangées échangées par leur contraires sans que des
contradictions fondamentales n'apparaissent dans les résultats qui en
découlèrent. Ainsi, la vérité mathématique est devenue hypothético-déductive. Il
semblerait par là qu'elle dépende de la convention humaine quant aux prémisses
des raisonnements.
Dans les sciences de la Nature, le progrès des théories lui-même trahirait la
relativité et l'incomplétude des vérités produites. La vérité des sciences de la
Nature semble dépendante du génie expérimental (matériel, compétence de
l'expérimentateur) et des orientations de recherche de l'époque. Comme Popper
l'a montré, la démarche expérimentale ne peut qu'infirmer une théorie, sans
jamais par là confirmer son contraire. Elle soutient plus qu'elle ne vérifie.
Elle génère une vérité provisoire, incomplète, améliorée par les progrès des
matériels et des savoir-faire expérimentaux, dans une évolution illimitée vers
la vérité objective.
Cependant, ces premières remarques appellent une appréciation
critique.
(2. Appréciation critique)
Pour Platon, l'Idée de Vérité, le
vrai en soi, existe, et est même plus réel que ce que nous tenons pour réel.
Cependant, Platon ne pose pas cette Idée comme une possible possession. Nous
devons selon lui pratiquer la dialectique pour contempler cette idée pure et non
pour la saisir imparfaitement à travers une forme comme nous le faisons en
mathématiques avec le triangle. Le vrai en soi est un idéal, une nécessité de la
raison.
Les critères de la vérité appelle à une critique sur leurs
limites. Certes, l'idée vraie est utile dans le sens où elle donne accès à
d'autres vérités par raisonnement qui peuvent engendrer des réussites
techniques, mais l'utilité, concept vague et a posteriori, ne peut que dévoyer
la recherche de la vérité, comme la recherche de la récompense dévoie l'action
morale. Pour les critères de l'universalité et de l'évidence, il apparaît au
final que seule la raison juge du vrai. Que ce soit en société ou
individuellement, le sujet qui trouve ou reçoit une vérité supposée est appelé à
la juger raisonnablement, sans précipitation ni "prévention", c'est-à-dire avec
des règles fixées par la raison. Mais nous ne devons pas oublier que si l'idée
est reconnue vraie, elle l'était avant notre jugement. La vérité précède notre
jugement, elle est en principe avant d'être dans les faits. Ainsi, un critère de
vérité n'est que la condition à laquelle nous pouvons accepter une idée pour
vraie rationnellement et non un critère qui fixerait l'idée comme vraie en
elle-même, séparée de notre pensée.
Le choix des axiomes en mathématiques reste certes
problématique mais a une part de légitimité dans la recherche de la vérité. Les
axiomes dépendent certes de nous, de nos conventions, mais l'essentiel est les
conclusions que nous en tirons par l'activité mathématiques. Les axiomes sont un
point de départ, singulier, et non l'activité mathématique elle-même. De plus,
avec les travaux de Kurt Gödel, nous savons que nous ne pouvons pas garantir a
priori qu'un système d'axiomes n'engendrera pas de contradictions dans les
développements qui en découlent. L'axiomatique n'est donc pas une entrave à
l'existence d'une vérité mathématique universelle. Elle évite une régression à
l'infini sans entacher tout l'édifice mathématique de propositions
conventionnelles.
L'aspect provisoire et incomplet des lois des sciences de la Nature ne doit pas
faire oublier qu'elles sont universelles et nécessaires dans des champ
d'application (échelles, conditions du milieu, etc.) qui sont donnés en
elles-mêmes. Ce qui évolue réellement, c'est le nombre de successions phénomènes
qui sont pris en compte, c'est-à-dire l'ensemble de réalités que nous sommes
aptes à percevoir. En sciences de la Nature, notre connaissance de la vérité est
indexée sur celle de la réalité physique, mais la vérité elle-même reste
objective (universalité en principe).
Ainsi, nous pouvons maintenant caractériser notre rapport à
la vérité.
(3. Bilan philosophique)
L'idée de vrai en soi, si son
contenu reste problématique, peut être considérée comme une idée régulatrice de
la raison. Le fait de la considérer pour elle-même rend possible et légitime la
recherche de la vérité. C'est un postulat fécond, il nous permet de d'attendre
autre chose et plus que les opinions qui nous mènent inévitablement au
désaccord, et qui n'apportent pas les bénéfices qu'in peut attendre de la vérité
comme à travers le critère d'efficacité. L'idée de vrai en soi est une croyance
légitime, raisonnable, par elle-même consciente de ses limites, elle consiste en
la croyance que la vérité ne dépend pas de nous.
D'autre part si nous admettons le vrai en soi comme idée
régulatrice de la raison, il nous faudrait également admettre raisonnablement
que ce qui est vrai l'est avant que nous le formulions, et a fortiori avant que
nous le sachions. Ce qui dépend de nous, alors, c'est le passage de la vérité
inconnue à la vérité connue, à travers des critères que nous fixons. Nous
choisissons la forme de la vérité, mais aussi le domaine dans lequel nous la
cherchons, comme par exemple les sciences.
La vérité scientifique est objective et universelle grâce à
la logique et à la méthode. Elle n'est par là à ne pas confondre avec une vérité
absolue, métaphysique. Ce qui donne la nécessité et l'universalité aux lois des
sciences de la Nature, c'est la détermination rationnelle de leurs limites, de
pour les énoncés mathématiques, le choix conscient des système d'axiomes. Le
champ d'application de la science est le monde en tant que totalité des
phénomènes aussi bien intérieurs (mathématiques) qu'extérieurs (sciences de la
Nature) au sujet. La vérité scientifique ne dépend pas de nous comme volontés,
mais de nous comme raisons en acte.
En conclusion, notre rapport à la vérité est la raison, juge
universel du vrai. L'Homme, aussi bien individu que genre, peut prétendre à une
vérité qui ne dépend pas de lui, universelle et nécessaire (dans les sciences)
ou intelligible (en philosophie) grâce à cet "instrument universel qui sert
en toute sorte de rencontres" (Descartes), quitte à restreindre sévèrement
le champ de ses recherches. Penser avec méthode, c'est-à-dire en égalisant notre
prétention à la vérité avec le pouvoir de la raison qu'elle se reconnaît à
elle-même, c'est être en marche vers une vérité qui ne dépend pas de nous.